mercredi 9 décembre 2015

LES RAPPEURS AFRICAINS PIEGES PAR LE BUZZ INTERNET




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Aujourd’hui un nombre croissant de jeunes rappeurs africains comptent démesurément sur internet pour assurer le développement de leur carrière. « Si j’ai le buzz sur le net, je vais percer ! » se disent ils.
Ils doivent se poser d’abord cette question : combien de consommateurs potentiels de musique sont sur la toile ?
Seulement 18% des africains ont accès à internet. Ce chiffre est une moyenne qui cache de grandes disparités : quand le Nigeria est à près de 38% avec plus de 67 millions d’habitants connectés, le Bénin ne dispose que de 460 000 internautes qui ne représentent  même pas 3% de la population nationale.
Seulement 7% des africains utilisent les réseaux sociaux.
Ne miser que sur le web en Afrique c’est faire des remous dans une tasse de thé alors qu’on espère déclencher des tempêtes dans un océan.
 L’impact est très marginal.

Mais il est vrai que la 4G sera bientôt une réalité dans la plupart des cités africaines et que le prix des smartphones ne va cesser de baisser. Cela va démocratiser l’accès à internet et rendre donc pertinentes les stratégies de marketing et de promotion musicale via le monde virtuel.

Encore faut il que les rappeurs sortent des pièges dans lesquels ils sont pris.

Internet et la gratuité d’accès aux contenus musicaux qui le caractérise souvent, ne sont pas une fin en soi. C’est un moyen efficace et économique de gagner des fans et de communiquer avec eux dans le but de construire sa carrière artistiquement et économiquement.
Il ne sert à rien de caracoler au sommet des hit parade de sites locaux de téléchargement gratuit si ça ne peut pas alimenter le business. C’est de l’énergie, du temps et de l’argent jeté par la fenêtre.

En recourant aux réseaux sociaux y compris whatsapp, en organisant soi même depuis sa page internet le téléchargement de ses œuvres, en les rendant disponibles sur des plate formes d’écoute comme SoundCloud ; un rappeur avisé investit mieux sur sa carrière. C’est le travail que font de nombreux rappeurs en développement à l’instar du béninois Sir Demos.
Il faut savoir que le single ‘Try Me’ de la rappeuse américaine Dej Loaf a explosé et l’a lancée, quand Drake l’a repéré sur SoundCloud et s’est mis à le citer sur son compte Instagram.

 En outre, aujourd’hui il existe plusieurs sites à rayonnement international où le public  peut  écouter sans frais des titres, et qui rémunèrent les artistes grâce à l’argent de la publicité. Cette option existe par exemple sur Spotify. Les montants sont encore faibles, mais ils paient.
Sans oublier le nombre croissant de plateformes de streaming et de téléchargement payantes africaines et internationales. On peut citer Baziks initiée par des congolais et Deezer qui s’implante sur le continent. Les rappeurs doivent y être présents car elles sont l’avenir et il est temps d’éduquer le public hip hop à comprendre que l’art a un coût.

La gratuité sert à élargir et à fidéliser la fan base. Celle ci est ensuite mise à contribution financièrement.
Ainsi les rappeurs américains ont intégré les mix tapes gratuites à leur modèle économique car ils savent qu’ensuite leurs fans payeront pour les voir en concerts, achèteront leurs disques (physique ou digital), leur merchandising (t shirts et autres produits dérivés), et que leur popularité peut déboucher sur la signature de contrats de branding et d’endorsement avec des marques.
 Ce n’est donc pas par philanthropie que Young Thug sort des projets gratuits à un rythme effréné. 
Il existe aussi des outils d’analyse qui permettent de connaître la localisation géographique des fans qui consomment la musique sur internet. Sur cette base un artiste peut choisir au mieux les villes qui constitueront les dates de sa tournée.
 
Cette monétisation est encore plus directe avec YouTube : les vues donnent droit à une rémunération. Il n'y a pas de barème clair en la matière, le tarif moyen est d’environ 1euro pour 1000 vues. Mais il augmente avec la popularité de l’artiste sur YouTube.
En additionnant les différentes vues des vidéos de sa chaine Youtube, on peut parvenir à des montants intéressants. Surtout qu’on peut inclure aussi les  vidéos constituées simplement d’une chanson en audio et d’une photo; ainsi que des vidéos à  petit budget comme 'Freestyle PSG' de Niska la nouvelle sensation du rap français.

Elle a aujourd'hui 30 millions de vues, ce qui équivaut à une rémunération de plus de 30 mille euros. Ces vues seules ont donc généré un bénéfice au moins 30 fois supérieur au coût de la vidéo et rentabilisé le single! 
Plusieurs rappeurs africains ont des clips qui dépassent la barre du million de vues. 
Le clip de rap le plus regardé est ‘See You Again’ de Wiz Khalifa qui comptabilise plus d’1 milliard de vues. Je vous laisse calculer ce qu'elles ont rapporté aux créateurs de ce titre et à la maison de disque ! 

 Des combats sont menés actuellement pour augmenter la part qui revient aux labels et aux artistes.
Les jeunes rappeurs ont donc tout intérêt à bien organiser dès le départ leur présence, et le trafic vers leurs titres sur YouTube.

Certains rappeurs ont converti leur buzz sur la toile en contrats avec de grosses maisons de disque. C’est le cas du phénomène du rap français Gradur qui après une série de clips qui ont obtenu des millions de vues sur Youtube, a été courtisé par les majors.
Même si c’est prématuré de parler de deal avec des maisons de disques en ce qui concerne les rappeurs d’Afrique francophone, on voit déjà comment de façon concrète leur buzz peut se transformer en cash. 
  En effet ce n’est pas avec le buzz qu’on paie les factures. 
Mais pour ce faire ils ne pourront pas se passer de visibilité et de promotion radio et télé, de mener des activités dans le monde réel.




POUR APPROFONDIR LE SUJET 

La rémuneration d'une vidéo virale sur youtube

Comment gagner de l'argent avec ses vidéos sur youtube

Principes de base pour optimiser la présence d'un artiste sur internet (en anglais)

jeudi 5 novembre 2015

LES PRODUCTEURS DU RAP AFRICAIN






 
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Ce n'est un secret pour personne que le rap d'Afrique francophone peine à intéresser le grand public et à créer une véritable économie.
Les raisons sont complexes mais on ne peut passer sous silence la responsabilité des producteurs ou beatmakers. Pour déterminer leur part dans ces difficultés, une analyse globale s'impose.

Pour comprendre l'importance du producteur musical dans le rap il faut retourner à la naissance du hip hop. Un DJ américain, Kool Herc en l'occurrence, est le créateur du mouvement. La musique a donc préexisté à la tchatche des MCs. Au départ les DJ n’ont recouru à leurs services sur les breakbeats qu'ils créaient,  que pour servir d'attraction et dynamiser les soirées hip hop qu'ils organisaient.
Dans les jeunes  années du rap  les sobriquets des DJ figuraient dans les noms de groupes célèbres: Éric B And Rakim ou DJ Jazzy Jeff and The Fresh Prince par exemple. Ce n'est pas anodin que le nom du producteur musical soit cité en premier.


Au sein de NWA, Eazy E, Ice Cube ont posé les fondations du Gangsta rap mais sans Dr Dre à la baguette, ce style n'aurait pas pu s'imposer comme un courant majeur.
C'est encore ce dernier qui a orchestré la domination musicale de la West Coast pendant l'ère Death Row.
De l'autre côté des USA, le Wu Tang doit son  entrée dans l'histoire à l'identité musicale unique que lui a construit The RZA et qui permettait à ses rappeurs de briller de tout leur éclat.
L'omniprésence du label Bad Boy dans les charts à la fin des années 90 s'explique par la constitution par Puff Daddy d'une équipe de producteurs d'élite : les Hitmen.

Et les exemples de super producteurs foisonnent : Swiss Beatz, Timbaland, DJ Premier, Kanye West…

La Trap music qui déferle sur le monde entier est avant tout une création des producteurs du sud des States.
Et la côte ouest doit son renouveau autant, sinon plus, à DJ Mustard qu'à l'émergence d'une génération de MC surdoués.
Plus que jamais, disposer de beats qui tuent est une nécessité pour se faire sa place dans le game.
La longue carrière de Jay Z est basée sur l'intelligence qu'il a de savoir collaborer à chaque album avec les producteurs les plus hot.


Bien évidemment on n'attend pas de chaque beatmaker qu'il lance la nouvelle tendance qui va marquer durablement le rap.
Sans être révolutionnaire il faut tout de même qu'il apporte sa touche, qu'il recherche et développe un univers unique dans lequel les rappeurs avec qui il collabore peuvent évoluer de façon cohérente.
Le cas d'école actuel est le tandem gagnant que forment Drake et Noah '40' Shebib, le producteur qui l'accompagne depuis ses débuts. Ce dernier a une griffe  reconnaissable entre mille qui est devenue très influente.

Zoomons maintenant sur l'Afrique francophone.


Des groupes à l'identité musicale singulière jalonnent l'histoire du rap sur le continent:
Ainsi MovaizHaleine se distingue par l'omniprésence de la harpe traditionnelle du Gabon dans ses instrumentaux.

 
Quand le Sénégal dominait la scène francophone africaine, ses rappeurs avaient une signature musicale aisément identifiable.
Idem pour les ivoiriens de RAS dont le rap fanfare snobé par les puristes à l'époque, était visionnaire au niveau musical. Ils étaient parvenus à  un mélange intéressant entre hip hop et rythmes africains. Exactement l'alchimie que recherchent aujourd'hui de nombreux producteurs africains.


Negrissim du Cameroun était dans un positionnement afro encore plus radical.


Mais parallèlement ont proliféré des rappeurs et des producteurs qui considèrent que plus la musique sonne comme ce qui fait aux États Unis, mieux c'est. Selon eux le rap a ses règles immuables  et on doit s'y conformer si on prétend en faire.

De nos jours avec la mondialisation et l’accès facile aux logiciels de production, quand un nouveau son apparait dans le rap il submerge le monde. En Afrique francophone on a vite fait de couronner meilleur beatmaker celui qui sait reproduire le mieux la nouvelle tendance.


A la décharge des producteurs africains il faut dire que le constat est quasi identique en France. Après avoir été pendant longtemps influencé par les sons froids et rugueux des New yorkais de Mobb Deep, le rap français a continué de marcher à la cadence imposée par les évolutions américaines. Mais cela peut se comprendre car l'Europe et l'Amérique du nord forment la civilisation occidentale. Ils ont donc un fond culturel commun façonné par la pop, le rock et les musiques noir américaines notamment. Que le rap issu de cette partie du monde soit homogène musicalement n'est pas une aberration.


Cependant en Afrique, même la mesure à quatre temps qui caractérise habituellement  le rap ne correspond pas aux rythmiques qu'on y retrouve le plus.
Au lieu de rechercher les voies et moyens de concilier les deux univers, les producteurs ont préféré tourner le dos aux beats africains les jugeant incompatibles avec le rap et pas ‘real’.
Pas étonnant que le rap n'arrive pas à devenir une musique de masse sur le continent.
L'ironie du sort est que ces mêmes producteurs étudient maintenant à la loupe l'Afrobeats nigérian qui fait la pluie et le beau temps sur le continent et qui se positionne  même comme une  musique urbaine internationale. Pourtant il est le fruit du mélange qu'ils décriaient.
Ils oublient que les beats qu'ils essaient de reproduire à la perfection sont le fruit d'une créativité stimulée par un environnement différent du leur.

Heureusement une prise de conscience s’opère et des jeunes producteurs comprennent que leur job rime avec expérimentation et prises de risques.

Ainsi l’ivoirien Shado Chris un des beatmakers les plus en vogue, construit des instrumentaux à cheval entre trap et couper décaler enrichis de références à la pop locale. Il est l’architecte musical de kiff No Beat.



Des rappeurs producteurs s’y mettent aussi : face aux carences des beatmakers, ils ont peut être estimé qu’ils ne pouvaient compter que sur eux mêmes. On peut citer parmi les plus connus, Jovi et Biz Ice. ‘Tala ngayi’ de ce dernier est un exemple particulièrement réussi de mix entre trap et ndombolo.



Le défi du rap africain aujourd’hui est de décupler son audience sur le continent, et de parvenir à se faire adopter définitivement par les consommateurs africains.
Le succès foudroyant que connaît le single ‘coller la petite’ du camerounais Franko démontre qu’un rap afro décomplexé a de l'avenir et un créneau a prendre. Ce titre touche en effet un public qui va largement au delà des cercles habituels d’amateurs de rap en Afrique.




Nos producteurs auraient ils enfin trouvé le filon ?




mercredi 21 octobre 2015

LES NOUVEAUX ENJEUX DU MARCHE DES MUSIQUES EN AFRIQUE




de g. à d. Salif Traoré, Didier Awadi, Lexxus Legal, Akotchayé Okio, Aziz Dieng, Lagbaja


Cette conférence organisée par le programme Equation Musique de l’Organisation Internationale de la Francophonie et de l’Institut Français, s’est tenue dans le cadre du MaMA 2015.

LE CONTEXTE

Africa is the Future ! on entend ce slogan depuis une décennie au moins. S’il a pu paraître au mieux pour de l’afro optimisme, au pire pour une incantation qui ne correspond à aucune projection réaliste ; force est de constater que dans le domaine musical le continent noir est aujourd’hui une terre d’opportunités considérables : Africa is now !

Au niveau des musiques en Afrique un modèle économique prend progressivement forme. Il est le suivant : 

-Des plate formes de streaming : on en dénombre déjà plus d’une centaine et leur nombre continue de croitre. Des mastodontes internationaux cohabitent avec des petits poucets locaux.

-Des fournisseurs de contenus qui se ruent sur les catalogues africains existants et qui pour certains signent des artistes et même découvrent de nouveaux talents. C’est le cas d’Universal.

-Un public qui consomme via 3 canaux principaux : 
1. La téléphonie mobile : elle va servir aussi de terminal de paiement des services musicaux. Des investissements sont faits pour améliorer la qualité de la connexion internet et l’offre de smartphones bon marché s’accroit. 

2. Des médias de divertissement à rayonnement africain. : Trace tv, A+ du groupe Vivendi sont des exemples emblématiques. Cela va s’accélérer et s’amplifier avec le passage à la TNT qui est imminente.

3. Le spectacle : Vivendi encore lui, a lancé le projet de construction de 10 salles en Afrique francophone. Les 4 premières seront implantées en Guinée, au Bénin, au Congo et au Sénégal. Il étoffe ainsi le réseau de diffusion existant dans lequel les festivals jouent un rôle important.

Ce modèle est une opportunité historique pour les acteurs africains car il structure véritablement la filière musicale. Mais il comporte aussi des risques. En effet si à chacun des chainons du l’industrie musicale,  des entrepreneurs locaux sont à l’œuvre, ils ne sont pourtant pas les artisans principaux de l’instauration de ce modèle. Fragiles économiquement, ils pourraient être relégués au rôle de figurants par la nouvelle donne.
Les artistes aussi pourraient ne pas recevoir leur juste part des revenus générés par le modèle.

 LES AXES DE LA CONFERENCE

I La production de contenus africains et ses enjeux

II La diffusion de contenus africains via les festivals 

III Les enjeux juridiques de la mutation en cours

IV Comment préserver les intérêts des artistes ? 

L’intégralité des échanges est disponible en podcast via ce lien :


jeudi 15 octobre 2015

INSTALLATION D'UNIVERSAL MUSIC EN AFRIQUE FRANCOPHONE : QUELLES CONSEQUENCES POUR LE RAP?




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Le n°1 mondial de l’industrie du disque prend ses quartiers en Afrique francophone. Il compte transformer en profondeur  la filière musicale de la région. Son installation est en effet un des aspects de la  politique globale  de mise en place d’un modèle économique rentable menée par Vivendi, le groupe qui possède Universal Music.

Ainsi avec Universal sont arrivés la chaîne de télé câblée A+, le concours de découverte de nouveaux talents Island Africa Talent, le projet d’ouverture de salles de spectacles baptisées Canal Olympia dans 10 pays d’Afrique francophone, la plate forme de streaming Kleek destinée à l’Afrique. Et il ne faut pas oublier le rachat par Vivendi de DailyMotion le concurrent de Youtube.  

La venue d’un acteur majeur sur un marché dit désorganisé et sans avenir prouve qu’au contraire il est arrivé à maturité et qu’il y a aujourd’hui suffisamment de consommateurs pour le rendre viable.

C’est une grande nouvelle pour tous les activistes de la musique: ça valide leur entêtement à vouloir créer un vrai show biz dans la région. Mais le gros risque est que ce mastodonte en position de force, les écrase et récolte les fruits de leurs longues années de dur labeur.

C’est aussi un pied de nez adressé au  secteur privé africain qui a minimisé le potentiel économique de la musique en Afrique francophone. Il est pris de vitesse.


Si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes on dirait que la présence d’Universal va  améliorer les perspectives de carrière des artistes : les musiciens n’ont plus à s’épuiser à chercher à séduire une major lointaine, la major est venue à eux !

Les rappeurs d’Afrique francophone doivent ils donc sauter de joie ?
Les choses ne sont pas aussi simples.

Le rap n’étant pas actuellement la musique la plus consommée dans la région, ses acteurs ne seront sans doute pas la priorité absolue de la maison de disque.

Le rap n’était d’ailleurs pas pris en compte dans la première édition du Island Africa Talent.
Or comme sous les autres cieux, les majors n’investissent plus dans le développement  de carrières d’artistes totalement inconnus. C’est devenu trop coûteux et le résultat est aléatoire.  Ils recourent aux télés crochets qui  leur permettent de gagner du temps et d’économiser de l’argent. Ces concours leur offrent le double avantage d’attirer des artistes  doués et de construire en un temps record un gros buzz autour des gagnants et des chouchous du public grâce à la surexposition médiatique qui les caractérise.
Dans la donne qui émerge donc, les signatures en major seront les chanteurs révélés par les différentes éditions de Island Africa Talent et les artistes qui se seront déjà fait un nom.
DJ Arafat (via le label de Maitre Gims) et Fally Ipupa ont déjà rejoint les rangs d’Universal.
On peut raisonnablement penser que le groupe togolais Too Fan est dans son viseur.

Universal va être en situation de monopole, et les rappeurs peuvent craindre à juste titre d’être marginalisés.
Cependant le rap a une force : il est plus qu’une musique. C’est  une culture, un mode de vie. Et de ce point de vue il est très influent en Afrique francophone.   
Cela n’a d’ailleurs pas échappé à Vivendi qui pour la pose de la première pierre du Canal Olympia de Conakry a organisé un concert dont Kiff No Beat partageait la tête d’affiche avec Wizkid.
Faut il y voir le signe d’une prochaine affiliation du groupe ivoirien à Universal ? Le futur nous le dira.


Malgré les risques, l’arrivée du géant de l’industrie musicale constitue une belle opportunité pour les rappeurs et leurs labels indépendants.
Ils ne seront pas les premiers à être signés en artistes ? Excellente nouvelle !
En effet si le contrat d’artiste donne droit à des royalties et met tous les frais de production et de promotion à la charge de la maison de disque, il n’est pas très rémunérateur et confisque la liberté artistique.
C’est dans l’intérêt de nos rappeurs de construire leur propre buzz, et d’élargir leur fan base. A l’ère d’internet et de la démocratisation des technologies musicales, un artiste indépendant est viable; et c’est un atout d’avoir le contrôle artistique et financier. Le chemin est plus ardu mais le résultat beaucoup plus lucratif car la marge qui revient dans les poches est plus grande. Il n’y a qu’à voir la carrière solide et fructueuse qu’ont bâti par eux mêmes les jeunes rappeurs américains Tyler the Creator et Chance The Rapper pour s’en convaincre.


En outre, une major est à la recherche de toutes les opportunités pour gagner de l’argent. L’ascension de rappeurs d’Afrique francophone ne manquera pas de lui taper dans l’œil. Ceux ci pourront négocier alors dans de bonnes conditions des contrats de licence et/ou de distribution en s’appuyant sur leurs labels.
Le rap américain a systématisé ce modèle, et ses acteurs les plus influents et les plus riches sont ceux qui l’ont appliqué. Ainsi c’est à travers son label Roc A Fella que Jay Z a signé à ses débuts avec Priority Records puis Def Jam.
En France Booba et le Wati B ont fait de même. 
Le ghanéen D Black a signé un deal de distribution avec la branche sud africaine d’Universal. Quand au nigérian Ice Prince c’est un partenariat entre son label Chocolate City et  Universal qui assure la distribution de ses titres au Royaume Uni.


La balle est donc dans le camp des rappeurs d’Afrique francophone. Comme aime à le dire Awadi, il ne faut pas qu’ils dorment en classe ! Ils devront travailler mieux et plus.

Le projet de construction des salles Canal Olympia est aussi une bonne nouvelle.  Ces 10  salles dans 10 pays détenus par un seul groupe vont rationnaliser la diffusion du spectacle vivant dans la région. Des espaces construits et équipés selon les normes internationales, et ayant une capacité de 3000 places sont une aubaine pour toutes les musiques urbaines du continent. Même s’ils serviront d’abord les intérêts d’Universal,  il y aura désormais moyen pour les autres structures opérant sur le continent d’organiser des tournées  rentables de rappeurs africains via ce réseau de salles. Cela va dynamiser la filière hip hop.

Avec de l’intelligence et du savoir faire, les rappeurs africains pourront tirer beaucoup de profit de la nouvelle ère qui s’annonce.





mercredi 23 septembre 2015

Mix My Wax Décode le Rap Africain



 Régner chez soi ou tourner à l’étranger : le choix forcé du Rappeur d‘Afrique francophone 


Commençons par des définitions : le chez soi dont il est question est l’espace francophone africain.
L’étranger représente le reste du monde, l’Occident principalement.

Le sujet de la chronique peut sembler absurde puisqu’en principe lorsqu’un artiste atteint le sommet sur son territoire, naturellement des opportunités d’accéder au marché international s’offrent à lui, et il est le mieux placé pour prétendre à une belle carrière internationale. Mais les choses ne sont plus aussi évidentes dans les musiques africaines, encore moins dans le rap d’Afrique francophone.


Pendant l’Age d’or du rap d’Afrique francophone, la question ne se posait pas : les PBS, Daara J remplissaient les stades, faisaient chavirer les cœurs des groupies, signaient des partenariats avec de gros sponsors, bénéficiaient du soutien des institutions.
Leaders indiscutables sur le continent, affiliés à des majors ; ils embarquaient pour des   tournées interminables dans le reste du monde sur des festivals et des scènes ouvertes aux musiques du monde
Sans doute avaient ils trouvé le juste équilibre artistique pour jouer et rafler la mise sur les deux tableaux.


Et puis le vent a tourné, les majors n’ont plus su quoi faire avec le rap d’Afrique francophone et parallèlement les rappeurs des générations suivantes ont semble t’il perdu la formule musicale qui permettaient aux glorieux aînés de faire la jonction entre les deux marchés.
Il faut dire que la crise a provoqué un nivellement par le bas.
Voir Daara J ou Positive Black Soul en concert était une telle claque qu’elle forçait les autres artistes à redoubler d’efforts.
Aujourd’hui un rappeur peut devenir très populaire, être un boss en Afrique francophone et signer de juteux contrats d’endorsement ; en ayant des prestations scéniques très approximatives.  Le play back ne choque plus le grand public, alors pourquoi se compliquer la tache à vouloir faire du live ? D’autant plus que celui ci est difficile à mettre en œuvre : manque d’espaces de répétition, coût des répétitions,  cachets pas assez importants pour rémunérer des musiciens. 
Résultat : sans une conscience claire des bénéfices du live et la détermination à faire les sacrifices nécessaires ; il passe vite à la trappe.
En outre, il n’y a pas assez de prime accordée à la recherche musicale, à l’originalité. Les rappeurs qui sont dans ce créneau, jouissent du respect de leurs pairs mais peinent à toucher le grand public. A court terme surfer sur les tendances du moment en s’appuyant sur une bonne promo fait encore l’affaire.
Pourquoi se casser la tête ? Un gros beat trap nappé de vocoder et le tour est joué !

Or sur le marché international la réalité est toute autre.

Primo concert de rap rime avec live. Jay Z la superstar l’a compris depuis des années. En France presque tous, de Lino à Black M renforcent leurs shows avec des musiciens.

Secundo l’Occident recherche des rappeurs africains qui incorporent leurs cultures dans leur musique, qui ont une démarche originale.
Cela peut d’ailleurs tourner à la caricature car dans certains réseaux le rappeur africain est celui qui porte un boubou et qui a des instruments traditionnels dans son back line. Eh oui au 3ème millénaire des programmateurs, heureusement en voie de disparition, ont encore du mal à admettre que le jean et le musiques électroniques font partie intégrante des cultures africaines !
Cela décourage ceux qui craignent d’être obligé de se déguiser pour faire carrière.
Il faut saluer ici le travail que fait le programme Equation Musique pour positionner le rap africain dans le circuit officiel international en tant que musique actuelle à part entière et non comme une branche de la world music. Avec son soutien la bénino-sénégalaise  Moona a pu se produire devant des professionnels de premier plan venus du monde entier lors du Marché des Musiques Actuelles de Paris en 2014, et le congolais Lexxus lui succèdera cette année.



Les rappeurs qui par conviction ou calcul ont une offre artistique qui correspond à la demande internationale et qui sont prêts à opérer les ajustements nécessaires, vont à la conquête de ce marché.
Et comme il n’y a pas encore eu de success story de rappeurs africains francophones en matière de vente de disques en Occident, donc le créneau qui s’offre à eux est celui des concerts et festivals. En ce domaine il ne dispose que de niches : communautés africaines,  festivals ouverts aux musiques du monde, premières parties de têtes d’affiches, et le petit circuit des lieux et évènements à caractère hip hop.
Les visas s’accumulent dans leurs passeports mais les euros et dollars tant espérés ne s’entassent sur leurs comptes en banque que si leur staff international est compétent, dynamique et honnête.

 le rap d’Afrique francophone vit donc un paradoxe que le talentueux burkinabè Smarty incarne bien : très en vue sur le plan international, il n’intéresse que moyennement les masses africaines.



 Pendant ce temps les anglophones les plus populaires sur le continent continuent leur percée internationale : Ice Prince et Sarkodie ont joué cette année sur le South By Southwest un des plus grands festivals américains.

Comment faire pour que de nouveau, les rappeurs francophones qui cartonnent sur le continent soient ceux qui s’exportent le mieux  et vice versa?

Tout d’abord il faut qu’ils comprennent définitivement que le rap africain doit avoir son identité, ses couleurs. Chacun a la latitude de concocter sa sauce selon ses goûts. L’essentiel est qu’au finish ça sonne rap et que ça sonne africain. Le camerounais Jovi est un bel exemple de mariage réussi entre rap et africanité.


Ensuite, que les intéressés réalisent qu’avec l’effondrement des ventes de disques, la scène est devenue encore plus importante aujourd’hui car elle procure aux artistes la majeure partie de leurs revenus.
C’est aussi manifester du respect à leur public africain qui mérite qu’ils lui donnent le meilleur d’eux mêmes. Malgré les contraintes techniques et financières, il y a toujours moyen de faire bien.
En tout cas au niveau international, si tu ne vends pas du rêve, de l’évasion, personne n’achètera ton spectacle.
Ce n’est pas seulement à cause de ses millions d’albums vendus que Jay Z a été  en 2008 le premier rappeur à se produire  à Glastonbury en Angleterre qui fait partie des festivals les plus côtés au monde, et qui était jusqu’alors un bastion du rock.
Ce n’est pas pour rien que Kendrick Lamar et Wiz Khalifa n’arrêtent pas de tourner.
Ils ont un show à couper le souffle, ils mouillent le maillot. Ils ne se contentent pas d’envahir le podium avec leur clique et de jeter des t shirts griffés à leur nom dans le public.

Enfin il faut trouver une solution au manque dans l’espace francophone africain de professionnels aguerris, et d’un réseau d’évènements, de lieux de diffusion suffisamment denses pour faire tourner les rappeurs. Cela renforcerait économiquement le rap de cette zone et permettrait aux artistes de s’investir réellement dans la recherche de styles propres à l’Afrique francophone et vendables au reste du monde, en commençant par l’Afrique anglophone et lusophone qui est un grand marché sur lequel ils ne parviennent pas encore à s’imposer.
Ils pourraient ainsi échapper à la pression d’un certain show biz international qui voudrait modeler le rap africain selon sa vision.

C’est dans ce souci d’émancipation que le groupe guinéen Degg J Force 3 organise annuellement à travers son label de production, une tournée européenne d’artistes guinéens de musique urbaine. Ledit label dispose même d’une licence de promoteur au Canada. Il a ainsi pu y organiser avec succès en 2013, trois concerts de son groupe phare BanlieuzArt.


Cette belle et audacieuse initiative devrait interpeler les acteurs majeurs du hip hop en Afrique francophone.
Imaginez l’impact d’une telle opération si elle est menée de façon conjointe !









                                                                                                                  

mercredi 2 septembre 2015

A L'HEURE DES COLLABORATIONS INTERNATIONALES OU EN EST LE RAP BENINOIS?






A la fin des années 2000, le rap africain fragile économiquement, a perdu de son influence au profit de la vague afro urbaine mieux organisée et plus en phase avec les attentes du public.  Le Nigeria et son Afrobeats, l’Azonto du Ghana, le Kuduro de la zone lusophone sont devenus dominants.


Le  rap béninois comme la plupart des pays d’Afrique francophone a subi l’invasion sans être en mesure de riposter.

Beaucoup d’acteurs ont même renié le hip hop pour embrasser les nouveaux courants  en vogue.

Le retour au premier plan du rap africain est venu des mêmes pays qui ont propulsé l’afro urbain car l’industrie musicale y est  structurée : Nigeria, Afrique du Sud, Ghana…

Mais leurs choix artistiques sont diamétralement opposés : quand les rappeurs les plus en vue de Lagos et d’Accra que sont Ice Prince, Phyno et Sarkodie, optaient pour un rap plus afro centré leur homologue de Johannesburg AKA choisissait de coller au plus près au modèle américain. Ses décisions ont été payantes car ils occupent des positions fortes sur leurs territoires respectifs.



EN AFRIQUE FRANCOPHONE LA CRISE A ETE TELLE QU'ELLE A REBATTU LES CARTES AU NIVEAU DE LA HIÉRARCHIE DU RAP BASE SUR LE CRITÈRE DE L'IMPACT INTERNATIONAL.


Le Sénégal et le Gabon se sont effondrés tandis qu’ont émergé le Cameroun et la Côte d’Ivoire. 
La recette de leur ascension : des visuels travaillés, une vraie adaptation des codes rap au contexte local, une approche plus professionnelle. 

Mais leur avènement reste fragile car les projecteurs internationaux ne sont braqués que sur quelques acteurs. Sans vouloir faire injure aux autres, si on enlève Jovi,  Stanley Enow ; Kiff No Beat et Nash du tableau, le Cameroun et la Côte d’Ivoire disparaissent des radars. Je rappelle qu’il est question ici de médiatisation et non de talent. Donc contrairement aux autres régions qui ont un système qui peut produire indéfiniment des stars viables du hip hop, l’Afrique francophone n’en est pas encore capable.

Pour se renforcer mutuellement et élargir leur audience, ces stars collaborent déjà entre elles. On ne compte plus les featurings entre rappeurs nigerians ghanéens et sud africains. 

L’industrie musicale d’Afrique anglophone est gérée par des hommes très qualifiés qui ont étudié dans les écoles anglaises et américaines ou ont travaillé dans leur show biz. Ils ont donc le même background que leurs homologues anglo-saxons et maîtrisent leurs pratiques.  Rien d’étonnant donc que leur rap commence à se positionner au plan international. Cela est facilité par le fait qu’il est identifié grâce aux Mtv African Music Awards, aux BET Awards et aux Music Of Black Origin (MOBO) anglais. 

De plus dans l’autre sens, les majors veulent pénétrer ces marchés au poids démographique important et où émerge une classe moyenne qui peut consommer. Puisque leur filière musicale est structurée le partenariat peut être gagnant gagnant. 

On sait par exemple que Jay Z est fortement intéressé par le territoire et les rappeurs nigérians.

En conséquence les feat entre artistes rap d’Afrique anglophone et US s’amorcent : Ice Prince a collaboré avec French Montana, Sarkodie avec Ace Hood.


 


Parallèlement, les poids lourds du rap game d’Afrique anglophone ont commencé à coopter leurs collègues  les plus visibles de la zone francophone : ainsi Sarkodie a collaboré avec Stanley Enow. Comme par hasard ils sont tous le 2 ambassadeurs de Samsung.
Eh oui un feat c’est avant tout une question de convergence d’intérêts,  d’opportunité d’accéder à un nouveau territoire, de gros sous. Au plus haut niveau il s’agit rarement d’un coup de cœur désintéressé.

Une collaboration serait en préparation entre Kiff No Beat et  le sud africain Cassper Nyovest.

Stanley Enow de son côté vient de s’associer à Biz Ice l’homme fort du rap au Congo Brazzaville, sur un titre de son album ‘Soldier like ma papa’.

En ce qui concerne le rap béninois, des collaborations ont été réalisées par le passé. 
Ainsi Ardiess a fait des chansons avec Ol Kainri et Kamnouze à la période où ils avaient encore du poids dans le rap français. Mais il n’y a pas eu d’orchestration médiatique et du coup aucune capitalisation sur ces collaborations.

Blaaz et Koba le gabonais ont enregistré plusieurs titres communs au moment où le béninois flirtait avec le label Eben.

Mais le rap béninois  peine toujours à trouver sa place sous le soleil africain.

Le talents des acteurs n’est pas en question : depuis ses débuts, le pays a toujours produit de bons MCs. Et, avec la nouvelle génération il n’y a pas de souci à se faire. 


LES RAPPEURS SONT EN ORDRE DE BATAILLE, ONT FAIM DE VICTOIRES, MAIS C'EST LA STRATÉGIE DE CONQUÊTE QUI LAISSE A DÉSIRER.

Il n’y a pas de filière musicale, pas de modèle économique. Donc les rappeurs et les petits labels sont livrés à eux mêmes. Le Do It Yourself auquel doit se résoudre un nombre grandissant d’artistes en Occident, est la règle du jeu.  Résultat, ce sont les mieux organisés, les plus inventifs et les  plus déterminés qui tirent leur épingle du jeu.

En l’absence d’un modèle standard qui fait ses preuves comme au Nigeria (qui a la chance d’avoir un vaste marché intérieur), le problème de l’identité se pose au rap béninois et à la majorité des raps issus d’Afrique francophone. 




Trois exemples illustrent bien la situation complexe qui prévaut:
Blaaz, le plus en vue actuellement s’est positionné depuis le début comme la version béninoise du rap explicite qui cartonne aux States. Hier on pouvait le comparer à Lil Wayne, aujourd’hui à Young Thug. Cela ne l’empêche pas de faire des incursions dans la vibe afro.


Diamant Noir qui représentait le rap français issu des beaux quartiers a, par touches successives, africanisé sa démarche. Il essaie maintenant de préserver son ADN rap tout en prenant en compte la tendance afro pop.





Kemtaan qui oscille entre rap et chant a choisi d’effectuer une rupture totale, remplaçant les beats calibrés français et ricains par des rythmes traditionnels adaptés au hip hop, et plus de musicalité. 


 


Il faut ajouter à cela le fait que les rappeurs ont du mal à reconquérir le cœur des mélomanes urbains qui penche depuis plusieurs années pour l’Afrobeats et ses stars nigérianes. 
Il n’y a quasiment plus de rappeurs qui se risquent à un concert payant d’envergure.

Enfin la position dominante qu’occupe Trace TV dans la zone, est un facteur qui n’aide pas les acteurs fragilisés à construire sereinement leurs projets artistiques. Cette chaine est au rap d’Afrique francophone ce que Skyrock est au rap français. A l’ère du règne de la télévision câblée sur le continent, dur dur de toucher le grand public sans elle. Consciemment ou inconsciemment  les rappeurs modifient leur direction artistique pour correspondre à sa ligne éditoriale. Pour beaucoup de rappeurs béninois c’est même devenu une obsession, une fin en soi !

MTV Base Africa est un canal tout aussi important et des rappeurs béninois commencent à y être diffusés : D Flex, Nasty Nesta. Mais il est encore peu regardé en Afrique francophone qui est naturellement le premier marché des rappeurs francophones.

Dans la donne actuelle,  leur visibilité internationale passe par une grande rotation sur Trace Tv. 

Blaaz y est parvenu avec son dernier single. Il est également brand ambassador de MTN, géant de la téléphonie mobile en Afrique. 

S’il confirme avec ses prochaines réalisations, et est largement diffusé sur MTV Base Africa, il pourra prétendre à des collaborations africaines prestigieuses.

En conclusion, tous ceux qui sur le continent rêvent d’un destin international, de tutoyer les cadors du game africain doivent redoubler d’effort, de créativité et surtout de stratégie.

Le Do It Yourself est là pour durer !